N°58 - Un peu de sérieux
A la base, je ne le cache pas, j'aime beaucoup le festival de Cannes, car il faut quand même avouer que les films qu'ils présentent sont souvent de qualité. Un festival certes hautain où règne la bien pensance, mais qui a aussi eu son lot de provoc libératrices (Antichrist de Lars Von Trier, primé il y a deux ans, Irréversible, La Grande Bouffe, et bien d'autres) qui font de ce festival un moment assez important dans une saison cinématographique. Mais au bout d'un moment, il arrive que le côté hautain du festival prenne le dessus et donne ce qui arrive aujourd'hui à Lars Von Trier.
Pour ma part, j'ai trouvé ça relativement ridicule mais surtout profondément abject.
Franchement, je suis scandalisé par l'attitude générale des médias et du personnel de Cannes. Rappel des faits : Pendant la conférence de presse de son film Melancholia, le cinéaste danois, dans une question sur son affection pour l'art architectural du IIIème Reich et ses origines allemandes, a répondu qu'il "comprenait Hitler, bien que ce ne soit pas un brave type" et qu'il "éprouve de la compassion pour lui". Il a déclaré aussi n'avoir "aucune animosité pour les juifs ... bon pas complètement, car Israël fait chier" avant de conclure "Bon, OK, je suis nazi". Réponse provocatrice, oui, évidemment, mais conaissant le zigoto, ce n'est pas étonnant, d'autant plus qu'a voir le ton de VOn Trier, il s'agit d'une vanne (D'un goût amer, certes), juste une plaisanterie noire, comme on pourrait l'attendre d'un mec comme lui.
Je ne défendrai pas le fait que provoquer sur ce genre de sujet provoque toujours le même genre de réaction, comme diraît Alêveque, "il faudrait deux spectacles de 2 heures et un gilet pare-balles, mais nous n'avons pas le temps et je suis lâche". Ca n'a aucun interêt car on ne s'en sortira pas. Je voudrais plutot pointer du doigt autre chose : la question du journaliste.
La question du journaliste portait sur sa découverte de ses origines allemandes et ses propos de sympathie pour les travaux d'Albert Speer sous le régime nazi.
Honnêtement, si ça c'est pas une question à sous entendus, je ne sais pas ce que c'est. D'autant plus que Von Trier était relativement "chaud" pour la provoc, arrivant à Cannes avec un hommage approximatif à la Nuit du Chasseur sur les mains (Les lettres étant remplacées par un simple "FUCK") et même durant la conférence de presse, à la question "Pensez vous que Melancholia sera au Palmarès final?" il a répondu "Oui, bien sûr!".
Bref, quand on analyse, Von Trier a donné aux journalistes ce qu'ils voulaient : le scandale de l'édition. Car, sincèrement, cette édition plongeait dans le marasme "Tous les films sont trop biens! Et les films francais (Polisse et The Artist puis Pater en tête) sont super bienggsss!!!". Il lui fallait un coup de pied au cul. Von Trier l'a donné. Il se fait dégager par la direction du festival de Cannes ... sinistre règne de la bien-pensance dans ce qu'elle a de plus abject ...
Qu'on ne s'y méprenne pas, je ne suis pas, tel un Eric Zemmour de bas étage, en train de cautionner pareille blague en public, mais franchement, il n'y a absolument pas de quoi gueuler au nazisme, d'autant plus qu'il s'est excusé! Il aurait très bien pu jouer la comédie jusqu'au bout, dire "Je vous emmerde, votre festival est pourri, sieg heil, je me barre avec mon camping-car!" mais il est redevenu sérieux entre temps, s'est barré sans autre forme de cérémonie ... le Festival de Cannes sera donc sans Von Trier, et je doute que Gaspar Noé veuille faire des heures sup. C'est donc le début de la fin de la libre pensée dans le plus grand festival du film du monde. La victoire de la consensualité.
Je suis profondément dégoûté.
D'ici 5 ans, tous les films présentés seront mous du genou, soit auteuristes chiants, soit peu originaux, soit, c'est les pires, formatés pour Cannes. C'est génial. En fermant le festival à Von Trier, Cannes a perdu sa vivacité artistique. C'est profondément désolant. Et pour finir, telle une cerise sur le tas de fumier, pas UNE FOUTUE LIGNE sur Melancholia, alors qu'il était un peu là pour ça aussi. Le film est passé sous silence, les journalistes ont trouvé du grain à moudre, les people pisse-froid aussi ("Ouh c'est pas bien Von Trier, venez plutôt voir mon film!"), un des réalisateurs les plus honnêtes qui soient (Avec ses films, soyons d'accord) a été viré. Il y a de quoi gueuler. Personne de connu ne semble réagir (Mention spéciale à notre Ministre de la Kultur (Copiright Godard (c) ), qui a trouvé ça "inacceptable" et "inadmissible" alors que pour Polanski, il n'a pas été aussi farouche ...)
Parfois, je me demande même comment j'ai pu être aussi con pour regarder ça sérieusement ... je regarderai le palmarès, mais je n'accorderai plus vraiment d'importance ... à moins que le jury, comme un moment de provoc pour eux aussi, ne donnent un prix à Von Trier ... ce serait alléchant, non? Hein Bob?